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Quel projet pour l'Europe ?

Par Arthur Leduc*

Les élections européennes de mai 2014 présentent des enjeux particulièrement importants. Le plus importants est de faire face aux défis que pose la crise globale (démocratique, économique, sociale, écologique, institutionnelle) qui touche l'Europe. Quel projet pour faire face à cette crise ?

Je ferais les propositions suivantes que je mets en débat :

-il est fondamental que nous refusions toutes perspectives politiques qui auraient pour présupposé une sortie de l'Euro et/ou de l'UE.

-il est tout aussi fondamental de proposer de véritables perspectives alternatives centrées autour d'un triptyque « désobéissance, rupture et refondation ».

1) Contre la « sortie de l'Euro et/ou de l'UE » : un projet nationaliste, étatiste et dangereux

Depuis maintenant 3 ans, les partisans de la sortie de l'Euro et/ou de l'UE gagnent en audience dans la gauche de transformation. Il ne s'agit plus seulement des traditionnels souverainistes mais d'un phénomène plus profond, conséquence de la gravité de la crise qui touche l'Europe depuis 2007. Face à cela il me semble fondamental de refuser toutes perspectives de sortie de l'Euro et/ou de l'UE et d'analyser les présupposés politiques de partisans actuels d'une telle sortie. Pour nous, il s'agit d'un projet nationaliste, étatiste et dangereux. De la même manière que nous refusons de fétichiser l'UE et l'Euro actuels, nous refusons de fétichiser le cadre national.

Tout d'abord, chez les partisan-e-s d'une sortie de l'Euro, la confusion est totale entre « souveraineté nationale » et « souveraineté populaire ». Ce n'est pas la même chose et il faut laisser la défense de la souveraineté nationale au Front National et aux « souverainistes » de tout bord. Nous sommes pour la souveraineté populaire et pas pour la souveraineté nationale. En effet, croire dans le caractère démocratique par nature de la Nation est une illusion à mon avis dangereuse. Le cadre national n'est aucunement un cadre démocratique par nature surtout quand l'on pense à la manière dont s'est constituée la nation française (dans le colonialisme et avec une vision raciste du monde, dans le patriarcat et la réduction des femmes à la procréation). Les institutions de la Vème République sont là pour nous rappeler le caractère bien peu démocratique du cadre national en France.

De plus, les récents débats sur l'identité nationale devrait nous donner une bonne vision des dynamiques à l’œuvre dans le repli national : exclusion des immigré-e-s ou issu-e-s de l'immigration, islamophobie, racisme anti-rroms...ll ne s'agit pas ici de dire que tous les tenant-e-s de la sortie de l'Euro sont racistes mais que la logique sous-jacente au repli national est une logique d'exclusion et d'exacerbation des xénophobies.

Les Etats jouent un rôle particulièrement important dans le fonctionnement de l'UE et ce sont les Etats qui sont à l'origine des transformations de l'UE. Dire que l'UE va contre la souveraineté nationale des Etats c'est oublier que ce sont les Etats qui ont organisé l'UE et qui continuent à le faire. C'est le Conseil européen qui donne les grandes orientations de l'UE et il est composé des chefs d'état ou de gouvernements des pays membres.

Parmi les autres institutions, le conseil de l'Union européenne a aussi un rôle important notamment au niveau législatif et est composé des ministres des états. Le parlement a quant à lui un rôle limité mais qui s'est renforcé récemment avec le pouvoir de co-décision dans certains domaines avec le conseil de l'Union européenne. Quant à la commission, elle a le monopole de l'initiative législative mais elle n'est pas non plus totalement indépendante des états par son mode de nomination et par la provenance des commissaires européens. Le problème ce n'est pas l'Europe ou l'Euro c'est la bourgeoisie européenne qui détient à la fois les pouvoirs dans les Etats et dans l'UE.

Il y a l'illusion aussi, chez une grande partie des tenants de la sortie de l'Euro et/ou de l'UE que le pouvoir d'Etat national servirait à garantir l'intérêt général. Cette vision très étatiste de la transformation sociale présuppose la possibilité d'une sorte « d'union sacrée » entre les couches populaires et la bourgeoisie françaises.

Enfin, il me semble important de faire un point sur la campagne de boycott des élections européennes organisée par un collectif, le CNR-RUE, dont nous avons une déclinaison dans les Alpes-Maritimes. Au-delà des amitiés troubles des initiateurs de ce collectif, leur texte d'appel donne d'utiles indications sur ce qu'il peut y avoir derrière. Les rédacteurs parlent « d'effacement national » : derrière leur critique de l'UE, c'est en réalité l'idée même de projet Européen qui est remise en cause. Et les convergences rouge-brune qui se font autour de ce thème ainsi que l'étrange critique du Front National que l'on retrouve dans l'appel au boycott sont là pour nous le confirmer. Ainsi, pour les rédacteurs de l'appel au boycott, le FN est critiquable pas par son idéologie désémancipatrice, mais parce que ce parti ne souhaite pas réellement rompre avec l'UE.

Pour terminer là-dessus, examinons très rapidement une proposition que l'on retrouve chez tous les partisans de la sortie de l'Euro : la dévaluation de la monnaie, impossible avec l'Euro, permettrait de relancer l'économie car restaurerait la compétitivité de l'économie française. La compétitivité ne se gagne que contre les autres, qui pour rétablir la leur devront eux aussi réaliser soit une dévaluation monétaire soir une dévaluation salariale (baisser les salaires) ce qui dans tout les cas annulera les effets de notre dévaluation. En clair c'est la guerre économique continuée sous une autre forme. Cette position est donc en soi extrêmement problématique. C'est une rupture avec l'esprit internationaliste qui doit animer la gauche de transformation de la société.

J'en conclurais la chose suivante : la sortie de l'Euro et/ou de l'UE ne doit pas faire partie de nos perspectives politiques. Nous devons en refuser l'idée : nous sommes les seuls véritables défenseurs d'une perspective européenne d'émancipation. Nous ne pouvons pas exclure une possible exclusion d'un gouvernement de gauche de transformation de l'UE et/ou de l'Euro mais nous n'en serons pas responsable devant les peuples européens.

2) Désobéir pour amorcer une rupture coopérative et refonder le projet européen.

Il semble nécessaire de poser certains principes qui doivent guider notre projet sur les questions européennes : principe absolu de souveraineté populaire (à ne confondre en aucun cas avec la souveraineté nationale) c'est-à-dire principe de démocratie ; principe absolu de coopération entre les peuples (toutes décisions doit nécessairement ne pas se faire en opposition à un autre peuple) c'est-à-dire principe d'internationalisme ; principe de se baser sur les mouvements sociaux et les mobilisations populaires dans un esprit de solidarité ; et que ces principes fondent notre « rêve européen ».

C'est dans cette optique que nous devons mener notre stratégie de désobéissance pour amorcer une rupture coopérative.

La stratégie de rupture avec l'UE effective et l'Euro effectif doit articuler la désobéissance aux traités actuels par des mesures unilatérales contre les intérêts capitalistes en Europe, mesures qui se doivent d'être coopératives avec les autres peuples européens et donc que l'on peut étendre à toute l'Europe ; un projet de refondation de l'Europe et de l'Euro à proposer aux peuples d'Europe (et pas seulement aux peuples de l'UE, je penses ici aux peuples des Balkans) ; l'appui décisif sur le mouvement social européen seul à même de créer le rapport de force en Europe.

Sur la désobéissance : un exemple concret : demander à la banque centrale française de financer directement l'état et mettre en place un moratoire et un audit sur la dette publique. C'est faisable avec de la volonté politique et une mobilisation populaire, c'est coopératif et généralisable à l'ensemble de l'Europe en attaquant seulement les intérêts capitalistes. Cela nécessite un gouvernement de transformation qui accepte la confrontation avec les gouvernements de l'UE.

Cette démarche mettrait les gouvernements européens au pied du mur et les confronterait à leur opinion publique. Elle s’inscrirait donc dans une stratégie coopérative de construction d’une autre Europe. Si plusieurs gouvernements désobéissaient, ils pourraient choisir des cibles communes et mener solidairement ces combats (ex : contrôler ou bloquer les mouvements de capitaux, déprivatiser les services publics, développer de nouvelles formes de propriété sociale, etc.). En évitant à la fois le repli national et le statu quo, la désobéissance permettrait d’affronter les oligarchies européennes et d’ouvrir des voies nouvelles aux solidarités entre les peuples.

J'aimerais aussi insister sur un autres aspect de la refondation rarement prise en compte à l'heure actuelle à la hauteur de son importance : la refondation démocratique radicale de l'UE.

En effet, à l'échelle européenne, la crise ne saurait se réduire à ses dimensions économiques, sociales et financières. Il y a aussi une grave crise écologique et démocratique. Ce dernier aspect est souvent mis de côté.

Dans cette optique, remettre la construction européenne à l'endroit ne peut se limiter à la nécessaire refonte de son architecture institutionnelle, mais exige la mise en route d'un véritable processus constituant dans lequel les peuples, les citoyens et les citoyennes de l'UE décident de leur avenir commun. La première étape de ce processus serait, à l'issue d'un véritable débat citoyen européen, l'élection d'une assemblée européenne constituante au suffrage universel direct et intégral, celui-ci étant ouvert à l'ensemble des habitant-e-s des pays-membres de l'UE, y compris les étranger-e-s extra-communautaires et à partir de l'âge de 16 ans. La seconde étape serait l'élaboration par une telle assemblée d'un projet de constitution, dont le texte serait limité à l'organisation des pouvoirs respectifs des institutions européennes, à leur articulation avec les institutions des Etats-membres et, en ce qui concerne les institutions européennes, au rôle respectif des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Enfin, la troisième et dernière étape de ce processus serait la ratification d'un tel projet par l'organisation d'un référendum européen le même jour dans tous les Etats-membres.

Au-delà de réhabiliter les prérogatives des assemblées élues à l'échelle de chaque Etat, donc les parlements nationaux, et de les associer aux prérogatives elles-même élargies du parlement européen, il semble important d'aller plus loin dans l'invention d'une démocratie active à l'échelle européenne et qui, complémentaire d'une refonte de l'architecture institutionnelle, et au-delà du processus constituant, peut constituer un premier élément de réponse à la crise démocratique européenne.

Bien d'autres éléments seraient à traiter sur la question de la refondation du projet européen. Par exemple l'importance de travailler au niveau européen à la transition écologique, ou encore la socialisation du système financier dans une perspective de démocratie active et d'autogestion.

Le texte programmatique du Front de Gauche ouvre des perspectives politiques intéressantes pour ces élections européennes et plus largement dans l'optique d'une refondation d'un projet politique européen d'émancipation. Malgré ses limites sur les questions écologiques et démocratiques, ce texte assure l'essentiel dans le contexte actuel : articuler désobéissance, rupture et refondation du projet européen.

Il se situe donc dans la lignée de ce que l'on trouve de meilleur dans l'histoire des luttes d'émancipation en Europe. Hier « les états-unis socialistes d'Europe » défendues par Trotsky en pleine 1ère guerre mondiale et alors que l'essentiel de la social-démocratie s'est fourvoyée dans les « Unions sacrées ». Aujourd'hui le combat pour le maintien en vie d'un « rêve européen » : celui d'une Europe de l'émancipation.

Arthur Leduc est militant des Alternatifs et d'Ensemble dans les Alpes-Maritimes

Tag(s) : #Europe, #Débats
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