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Interview réalisée le 23 mars 2010 par Richard Neuville pour Rouge & Vert, journal des Alternatifs

 

 

En mai 2006, la mobilisation engagée par la section 22 du syndicat des enseignant-e-s (SNTE) qui portait sur la revalorisation salaires et l’amélioration des conditions de travail va déclencher la « Commune de Oaxaca ». Après la répression du mouvement et l’expulsion de leur campement mi-juin, le conflit dépasse largement la protestation enseignante. La ville se soulève et près de trois cent cinquante organisations constituent l’Assemblée populaire des peuples de Oaxaca (APPO). L’APPO crée un conseil d’état provisoire, constitué de 260 délégué-e-s, qui va agir comme un « parlement citoyen » durant les plusieurs mois du conflit. Entre juin et novembre 2006, l’APPO se consolide, les actions collectives se multiplient : prises de contrôle des moyens de communication, mise en place de 3000 barricades dans la ville, extension territoriale du conflit dans la périphérie de la ville et dans d’autres localités de l’Etat. Le mouvement assume le contrôle de la ville et commence à se transformer en embryon de gouvernement alternatif avant d’être violemment réprimé par la police fédérale. Un peu plus de trois années après, Rouge & Vert a profité du passage en Ardèche d’Angel Luna Cosme pour faire le point avec lui sur l’évolution de la mobilisation dans l’Etat de Oaxaca.

 

 

 

R&V : Pourrais-tu te présenter et nous expliquer ton engagement ?

Angel Luna Cosme : Je me suis engagé pour la première fois de ma vie pendant la Commune de Oaxaca et j’ai participé activement aux barricades. Je suis membre de VOCAL (Voix oaxaquéniennes construisant l’autonomie et la liberté) qui travaille avec les communautés indigènes et les populations des quartiers populaires en créant des espaces autonomes et je suis impliqué avec d’autres jeunes dans le fonctionnement de la Maison autonome, solidaire et autogérée d'Oaxaca (CASOTA). Actuellement, j’effectue une tournée en Europe pour développer la solidarité et découvrir les alternatives qui s’y développent.

 

 

R&V : Qu’est devenue l’APPO et pourquoi avoir créé VOCAL ?

ALC : Le collectif VOCAL est né en mars 2007 après le premier congrès de l’Assemblée populaire des peuples de Oaxaca qui s’est tenu les 10 et 11 février 2007, au cours duquel l’APPO a été confrontée à une tentative de coup de force émanant de certaines de ses composantes : le FPR (Front populaire révolutionnaire), le FALP (Front large de lutte populaire), Nueva Izquierda (Nouvelle gauche) et la COMO (Coordination des femmes de Oaxaca), contrôlés ou liés à des organisations politiques communistes, marxistes-léninistes ou proche du PRD (Parti révolutionnaire démocratique) et qui ont œuvré pour que l’APPO participe et présente ses propres candidat-e-s aux élections locales d’août et d’octobre 2007. Le congrès a finalement décidé qu’en tant que mouvement social, l’APPO ne participerait pas au processus électoral et a adopté une décision conforme à ses principes, dans la mesure où elle ne se conçoit pas comme un parti politique. L’APPO s’est strictement limitée à appeler à un vote de sanction contre les candidats du gouverneur, Ulises Ruiz et ses alliés. Cette tentative d’instrumentalisation s’est notamment heurtée à la position des représentant-e-s des communautés indigènes et des organisations sociales qui refusent de participer aux élections et souhaitent rester indépendantes des structures de pouvoir.

Face à la logique du système capitaliste qui exploite et dévaste les territoires et expulse les communautés, VOCAL accompagne les résistances et les luttes des peuples en défense de leur terre et de leur territoire. On défend la terre et le territoire comme par exemple contre les mégaprojets éoliens des multinationales, telles qu’Endesa, Iberdrola, EDF, etc. programmés dans le cadre du Plan Puebla Panamá. L’objectif est également de faire connaître les projets et les cas de répression. La raison d’être de VOCAL est de résister contre tous ces projets, contre l’implantation d’une base militaire à Merida et de rechercher des alternatives aux institutions de l’Etat. Par ailleurs, VOCAL contribue à créer des espaces d’autonomie pratique dans lesquels, de manière autogérée, on produit, on échange et on apprend de manière collective.

 

 

R&V : Pourrais-tu nous expliquer en quoi consiste l’activité de la CASOTA ?

ALC : Il s’agit d’un espace culturel, de rencontre, de réflexion, d’action, implanté dans un quartier populaire de la ville de Oaxaca que nous avons créé en octobre 2008. On y trouve une cantine populaire, un dortoir pour héberger des personnes solidaires d’autres régions du Mexique et du monde, une bibliothèque alternative, des ateliers de sérigraphie, de peinture, de gravure, d’impression, de recyclage des ordinateurs, une radio, un cabinet de consultations médicales, une boutique communautaire, etc. On y organise également des salons du livre, des concerts, des expositions, des formations, des débats, etc. Dans la boutique Lorenzo Sampablo Cervantès, on commercialise l’artisanat produit par des prisonniers politiques pour leur venir en aide matérielle, ainsi que des fruits et légumes des communautés. Il s’agit d’une vente directe à bas prix pour contourner les circuits de distribution traditionnels. La CASOTA contribue au développement de coopératives et de l’artisanat. Plusieurs coopératives de consommateurs des quartiers sont nées, elles achètent directement aux communautés indigènes et aux petits producteurs. La CASOTA contribue au développement de l’agriculture biologique urbaine en organisant des échanges de semences afin de permettre que les résidents des quartiers populaires de Oaxaca puissent produire quelques fruits et légumes. Un réseau pour la défense de la souveraineté alimentaire et un centre de documentation sur les technologies alternatives ont également été créés. La CASOTA développe également des relations de solidarité avec d’autres régions du monde.

 

 

R&V : Combien existe-t-il d’espaces autogérées comme celui-ci et quelle est l’attitude des autorités ?

ALC : Il existe quatre lieux alternatifs équivalents implantés dans des quartiers populaires de la ville de Oaxaca et de nombreux autres dans les communautés. Ces formes d’autogestion ne se revendiquent pas seulement comme visionnaires et utopiques mais résolument pratiques. Il y a une nécessité de répondre aux besoins et aux espérances des populations.

Nous sommes constamment menacés par la répression féroce de la police. En décembre 2008, celle-ci a investi les locaux de la CASOTA mais devant la mobilisation massive des habitants du quartier, elle a été contrainte de se retirer.

 

 

R&V : Comment s’est passé le congrès de l’APPO de l’an passé ?

Le deuxième congrès de l’APPO s’est tenu en février 2009 en présence de 702 délégué-e-s de toutes les régions de l’Etat. Le nombre de communautés indigènes représentées avait encore progressé et s’élevaient à près de trois cents. Le FPR et consorts ont réitéré leur volonté d’impliquer l’APPO lors des prochaines élections mais les communautés de base et une majorité des mouvements sociaux, dont le syndicat des enseignants (SNTE) s’y sont de nouveau opposées. Même s’il est à peu près sûr que le PRD remportera des prochaines élections de l’Etat en juillet 2010, nous n’en attendons rien. Au-delà des élections, l’espoir demeure car les peuples s’organisent de plus en plus et ils sont de plus en plus résolus à prendre leur destin en main. Ils ne sont pas prêts à se rallier à ceux qui hier tenaient des discours révolutionnaires enflammés et qui aujourd’hui ne parlent que de réalisme politique. Ils préfèrent construire dès maintenant des initiatives et des projets autonomes qui portent les germes de la nouvelle société qu’ils veulent. Malgré les divergences tactiques et stratégiques au sein de l’APPO, celle-ci continue de jouer un rôle important dans la mobilisation, notamment pour la libération des prisonniers politiques et la lutte contre les privatisations et les multinationales.

 

 

Interview réalisée le 23 mars 2010 par Richard Neuville

 

 

Pour en savoir plus :

 

Site de VOCAL : http://vocal.lahaine.org/

 

Site de la CASOTA : http://casota.wordpress.com/

 

Georges Lapierre, « La Commune de Oaxaca », Rue des cascades, Paris, 2008.

 

Richard Neuville, « Commune de Oaxaca », in Autogestion, hier, aujourd’hui, demain, Syllepse, Paris, 2010 (à paraître).

Tag(s) : #International
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