Nous publions ci-dessous un article de notre camarade Richard Neuville sur le forum social thématique de Porto Alegre et la Déclaration des mouvements sociaux adoptée en cloture.
Du 24 au 29 janvier 2012, un forum social thématique « Crise capitaliste, justice sociale et environnementale » s’est tenu à Porto Alegre afin de préparer le Sommet des peuples qui se déroulera à Rio du 15 au 23 juin 2012, en parallèle du Rio+20 officiel. Il s’agira de s’opposer à la marchandisation de tous les aspects de la vie et de défendre les biens communs.
En effet, la conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement organisée à Rio en 1992 et celles qui ont suivies n’ont pas permis de réduire la misère et les inégalités et d’enrayer la dégradation de l’environnement. Bien au contraire, nous traversons la plus grande crise du capitalisme depuis 1929. Les inégalités sociales et la pauvreté s’accroissent, la famine continue d’affecter un milliard de personnes, les guerres et les conflits sévissent un peu partout, le racisme et la xénophobie se développent. Le système de production et de consommation capitaliste dominé par les multinationales avec l’assentiment des gouvernements et des institutions internationales contribue au réchauffement climatique, à la destruction croissante de la biodiversité, à la réduction de l’accès à l’eau potable, à l’augmentation de la désertification des sols et à l’acidification des mers. La marchandisation de toutes les dimensions de la vie est de plus en plus visible. La globalisation de l’économie, sous l’égide du système financier international, orientée uniquement par la recherche du profit maximum, impose une intensification du travail et contribue à l’exploitation effrénée des combustibles fossiles et à la destruction des écosystèmes. Dans ces conditions, l’échec patent des engagements pris à Rio92 démontre amplement que les peuples doivent, plus que jamais, contester la domination hégémonique du système international, proposer et construire des alternatives. Ce sera tout l’enjeu du sommet alternatif de Rio+20, qui après Seatle, les FSM, Cochabamba, Copenhague et le Contre G20, devra contribuer à accumuler des forces pour la protection de la vie et des biens communs.
Toutes ces thématiques étaient abordées lors du forum à travers les 900 ateliers, séminaires et plénières*. Il s’agissait pour les organisations, les réseaux et la société civile d’approfondir la réflexion et d’élaborer des propositions d’action.
Il y avait deux forums en un : le premier principalement brésilien et, dans une moindre mesure, sud-américain avec ses activités autogérées se déroulait à Porto Alegre et dans les villes de la banlieue proche (Canoas, São Leopoldo et Novo Hamburgo) et, le second plus international, réunissait les principales organisations actives dans les forums sociaux mondiaux et les composantes du Comité international du FSM pour travailler sur les thématiques.
La participation numérique a été en deçà des attentes et la manifestation d’ouverture n’a rassemblé que quelques milliers de personnes, essentiellement des syndicats : Centrale unique des travailleurs (CUT), Centrale des travailleurs brésiliens (CTB), Force syndicale (FS), Nouvelle centrale syndicale des travailleurs (NCST) et Union générale des travailleurs (UGT) et, de maigres représentations politiques brésiliennes : Parti des travailleurs (PT), Parti communiste du Brésil (PCdoB), Parti Socialisme et liberté (PSOL) et du Parti socialiste des travailleurs unifié (PSTU) ainsi que des organisations écologiques et un cortège brésilien de la Marche mondiale des femmes. Le forum a également eu son volet institutionnel avec de nombreuses activités organisées par le gouvernement du Rio Grande do Sul, principal bailleur de fonds et dirigé par Tarso Genro (PT), ancien maire de Porto Alegre. Comme à l’accoutumée au Brésil, la présidente de la République, Dilma Rousseff, a effectué une visite en off en intervenant dans un meeting. Par ailleurs, de nombreuses activités culturelles et artistiques se sont déroulées pendant tout le forum dans les différentes villes accueillant le forum.
Lors de l’Assemblée des peuples, qui a réuni quelques milliers de personnes au Gazomètre, les différents groupes thématiques ont présenté les axes de lutte du Sommet des peuples de Rio+20.
La déclaration finale des mouvements sociaux (voir en annexe) résulte d’un consensus un peu compliqué à construire au sein des groupes thématiques, notamment avec les brésiliens. Les organisations sociales du pays hôte ont défendu le type de développement en cours localement et ont tendance à réduire l’objectif du RIO+20 à des revendications portant principalement sur une meilleure répartition des richesses et une plus grande justice sociale. Tout ce qui pourrait contrecarrer le développement du Brésil, y compris au détriment des pays voisins est difficilement négociable. Néanmoins, la déclaration affiche un certain nombre d’objectifs pour engager les luttes dans différents secteurs. Reste à démontrer si le sommet Rio+20 permettra de mobiliser à l’échelle internationale en étant à la hauteur des enjeux planétaires.
* Richard Neuville pour Les Alternatifs a participé à une conférence « Mouvements sociaux et politiques, révolution du XXIe siècle », organisée par le Collectif « Brasil autogestionário » et animée par Paulo Marques à l’Assemblée législative de l’Etat du Rio Grande do Sul, avec la participation d’Esther Vivas de la gauche anticapitaliste de l’Etat espagnol (IA) et de Wilhelmina Trout (Afrique du Sud) de la Marche mondiale des femmes (MMF).
Richard Neuville
Déclaration finale de l’Assemblée des mouvements sociaux du forum social thématique de Porto Alegre
Nous, les peuples de tous les continents, réunis dans le cadre de l’Assemblée des mouvements sociaux tenue lors du Forum social thématique « Crise capitaliste - Justice sociale et environnementale », luttons contre une crise systémique qui se traduit par une crise économique, financière, politique, alimentaire et environnementale mettant en péril la survie même de l’humanité. La décolonisation des peuples opprimés et la confrontation avec l’impérialisme représentent le principal défi des mouvements sociaux dans le monde.
Nous nous réunissons ici, dans toute notre diversité, pour construire ensemble un agenda d’actions communes contre le capitalisme, le patriarcat, le racisme et tout type de discrimination et d’exploitation. C’est pourquoi nous réaffirmons nos axes communs de luttes, adoptés lors de notre Assemblée de Dakar en 2011. La lutte contre les transnationales, la lutte pour la justice climatique et pour la souveraineté alimentaire, la lutte pour l’élimination des violences faites aux femmes, la lutte pour la paix et contre la guerre, le colonialisme, l’occupation et la militarisation de nos territoires.
Les peuples du monde entier subissent aujourd’hui l’aggravation d’une crise profonde du capitalisme dans laquelle ses agents (banques, transnationales, conglomérats médiatiques, institutions internationales et tous les gouvernements à leur service) cherchent à accroître leurs bénéfices au prix d’une politique interventionniste et néo-colonialiste. Guerres, occupations militaires, traités néolibéraux de libre-échange et "mesures d’austérité" se voient traduits en paquets économiques qui privatisent les biens, baissent les salaires, réduisent les droits, augmentent le chômage et exploitent les ressources naturelles. Ces politiques affectent lourdement les pays riches du Nord, augmentent les migrations, les déplacements forcés, les délogements, l’endettement et les inégalités sociales.
La logique d’exclusion de ce modèle ne sert qu’à enrichir une petite élite, tant dans les pays du Nord que dans les pays du Sud, au détriment de la grande majorité de la population. La défense de la souveraineté et de l’auto-détermination des peuples, la justice économique, environnementale et de genre, sont les clés pour affronter et dépasser la crise, en consolidant le protagonisme d’un Etat libre des corporations et au service des peuples.
Le réchauffement global est le résultat du système capitaliste de production, de distribution et de consommation. Les transnationales, les institutions financières, les gouvernements et les organismes internationaux à son service, ne veulent pas réduire leur émission de gaz à effet de serre. A présent, ils tentent de nous imposer "l’économie verte" comme solution à la crise environnementale et alimentaire, ce qui non seulement aggrave le problème, mais débouche sur la marchandisation, la privatisation et la financiarisation de la vie. Nous rejetons toutes les fausses solutions à ces crises, tels que les agro-combustibles transgéniques, la géo-ingénierie et les marchés carbone, car ce ne sont là que les nouveaux déguisements du système. La tenue de la Conférence des Nations-unies Río+20, au mois de juin à Río de Janeiro, 20 ans après Rio 92, renforce la lutte pour la justice climatique en opposition au modèle de développement capitaliste. La tentative de "verdir" le capitalisme, s’accompagnant de nouveaux instruments de "l’économie verte", doit alerter les mouvements sociaux et leur permettre de durcir la résistance et d’être les protagonistes de la construction de véritables alternatives à la crise.
Nous dénonçons la violence faites aux femmes qui est exercée régulièrement comme un outil de contrôle de leurs vies et de leurs corps. De surcroît, nous luttons contre la recrudescence de leur exploitation au travail qui permet aux entreprises d’atténuer les impacts de la crise et de maintenir des marges de bénéfices constantes. Nous luttons contre le trafic des femmes et d’enfants, contre les relations forcées et les préjugés raciaux. Nous défendons la diversité sexuelle, le droit à l’auto-détermination de genre et luttons contre l’homophobie et les violences sexistes.
Les puissances impérialistes utilisent des bases militaires étrangères pour fomenter des conflits, contrôler et piller les ressources naturelles et promouvoir des dictatures en divers endroits du monde. Nous dénonçons le faux discours de défense des droits humains, qui souvent permet de justifier les occupations militaires. Nous nous prononçons contre la violation permanente des droits humains et démocratiques au Honduras, et plus particulièrement à Bajo Aguán, l’assassinat de syndicalistes et d’acteurs de la lutte sociale en Colombie, ainsi que le blocus criminel contre Cuba depuis 50 ans. Nous luttons pour la libération des 5 cubains emprisonnés illégalement aux Etats-Unis, l’occupation illégale des Iles Malouines par l’Angleterre, les tortures et les occupations militaires promues par les Etats-Unis et l’Otan en Libye et en Afghanistan. Nous dénonçons le processus de néo-colonisation et de militarisation à l’œuvre sur le continent africain et la présence de l’Africom. Nous luttons également pour l’élimination de toutes les armes nucléaires et contre l’Otan.
Nous exprimons notre solidarité avec les luttes des peuples du monde contre la logique prédatrice et néocoloniale des industries extractives et minières transnationales, en particulier avec la lutte du peuple de Famatina en Argentine. Nous dénonçons la criminalisation des mouvements sociaux. Le capitalisme a détruit la vie des personnes. Pour cette raison, de nombreuses luttes naissent chaque jour pour la justice sociale, afin d’éliminer les effets laissés par le colonialisme et pour que tous et toutes, nous ayons une qualité de vie digne. Chacune de ces luttes implique une bataille d’idées qui rend indispensable les actions pour la démocratisation des moyens de communication indépendants, contrôlés pour le moment par des conglomérats, et contre le contrôle privé de la propriété intellectuelle. Dans le même temps, le développement d’une communication indépendante doit accompagner notre processus d’émancipation. Engagés dans nos luttes historiques, nous défendons le travail décent et la réforme agraire et considérons que c’est le seul chemin vers l’économie familiale, paysanne et indigène, c’est un pas nécessaire pour accéder à la souveraineté alimentaire et la justice environnementale. Nous réaffirmons notre engagement dans la lutte pour la réforme urbaine comme instrument fondamental dans la construction de villes justes aux espaces démocratiques et participatifs. Nous défendons la construction d’une autre intégration, fondée sur la logique de la solidarité, et le renforcement de processus tels que l’Unasur et l’Alba. La lutte pour le soutien à l’éducation, la science et les technologies publiques, ainsi que pour la défense des savoirs traditionnels devient urgente à mesure que ces domaines sont livrés à la marchandisation et à la privatisation.
Nous exprimons notre solidarité et notre soutien aux étudiants chiliens, colombiens, portoricains et du monde entier qui continuent de défendre ce bien commun qu’est l’éducation. Nous affirmons que les peuples ne doivent pas payer pour cette crise et qu’il n’y a pas d’issue possible au sein du système capitaliste. De grands défis sont inscrits au calendrier, ils exigent que nous articulions nos luttes et que nous nous mobilisions massivement.
Inspirés par l’histoire de nos luttes et par la force rénovatrice des mouvements du « Printemps arabe », d’Occupy Wall Street, des Indignés et la lutte des indignés chiliens, l’Assemblée des mouvements sociaux appelle les forces et acteurs populaires de tous les pays à développer des actions de mobilisation coordonnées au niveau mondial. Nous devons contribuer à l’émancipation et à l’auto-détermination de nos peuples, en renforçant la lutte contre le capitalisme. Nous appelons tous et toutes à renforcer le poids de la Rencontre internationale des droits humains en solidarité avec le Honduras et à construire le Forum social de la Palestine libre, soutenant le mouvement mondial pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre l’Etat d’Israël et sa politique d’apartheid contre le peuple palestinien.
Prenons la rue à partir du 5 juin pour une grande journée de mobilisation mondiale contre le capitalisme. Nous appelons à impulser l’organisation, face à la Conférence Rio+20, du Sommet des peuples pour la justice sociale et environnementale, contre la marchandisation de la vie et pour la défense des biens communs.
Oui, le temps présent est à la lutte, l’avenir est à nous !
Porto Alegre, le 28 janvier 2012,
Assemblée des mouvements sociaux