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Rencontre avec Ephrem INGANJI, rescapé du génocide du Rwanda, psychologue résidant en Belgique, auteur du livre « Une jeunesse perdu dans un abattoir d’hommes »*. Nous l’avons interviewé à l’occasion d’une soirée-débat organisée par Survie, consacrée au rôle de la France au Rwanda et qui s’est tenue le 24 mars dernier à Aubenas.

 

Rouge & Vert : le 26 février dernier, Sarkozy est allé au Rwanda. Quelle analyse fais-tu de cette visite ?

Ephrem Inganji : Dans un sens, cette démarche est positive. Il s’est désolidarisé des génocidaires. Jusqu’à présent, ces derniers se sentaient soutenus par la France. De plus, votre pays avait mis en avant la théorie du double génocide, dont un exemple est le livre de Péan «Noires fureurs, blancs menteurs». Cependant, tout reste à faire. Il n’y a pas eu de demande de pardon, tout au plus des « erreurs » ont été commises, et la France n’est pas seule dans ces « erreurs ».Je suis sceptique et vigilant sur la suite car faire un procès dérangerait beaucoup de choses. Pour Sarkozy, il faut tourner la page. Pour nous, rescapés, ce n’est pas possible, il faut que la justice passe et qu’on obtienne des réparations. Nous voulons que les génocidaires qui sont sur le sol français soient jugés par la justice française.

 

R & V : Par rapport à l’attentat contre l’avion présidentiel, qui aurait déclenché le génocide, y a-t il une thèse ? Quelle est la tienne ?

E.I : Plusieurs thèses se sont succédé mettant en cause successivement tous les protagonistes. Aujourd’hui, personne ne peut affirmer l’une ou l’autre thèse. La dernière enquête, très documentée, met en cause la partie « dure » du gouvernement de l’époque (partie dont sont issus les génocidaires) qui n’a jamais accepté les accords d’Arusha, signés entre le président Habiarimana et le FPR. De toutes façons, peu importe. Le génocide était déjà planifié.

 

R & V : Que penses-tu de la justice rwandaise ?

E.I. : Vu le nombre important de participants au génocide, on ne pourra pas tout juger. Ce qui s’est fait ne règle pas la question, mais le fait qu’il y ait eu justice est important. Le TPI d’Arusha aurait pu faire plus, mais il va s’arrêter car il y avait un délai qui expire cette année. En fait, le tribunal a des moyens conséquents mais il est trop lent, ce n’est pas satisfaisant. Le TPI ne demande pas réparation, il condamne. La défense est aidée mais les parties civiles n’ont pas les moyens de constituer les dossiers.

 

R & V : As-tu des informations sur les prochaines élections au Rwanda ? Y a-t-il une opposition ?

E.I : en 2009, il y a eu des législatives, les femmes, les jeunes, les handicapés ont été représentés. Le Rwanda est le pays au monde où les femmes sont le mieux représentées au Parlement. En août prochain, il y a une élection présidentielle. Officiellement, il n’y a que le président en place, Kagamé, à la tête d’un gouvernement d’union nationale. Dans la Constitution, on ne peut être candidat si on a une idéologie génocidaire. L’opposition est surtout le fait de personnes qui sont extérieures au Rwanda. Aujourd’hui, il y a une candidate contre Kagamé, résidant aux Pays Bas dès avant 1994, proche des thèses génocidaires. Le risque d’aller voter sur une base ethnique existe même si la Constitution empêche l’ethnicisation.

 

R & V : Quid de la liberté de la presse ?

E.I : Concernant la liberté de la presse, il s’agit surtout de radios et de télés. Oui, il y a des radios privées, c’est mieux qu’avant le génocide. La télévision est composée de trois chaînes d’Etat, comme en France à l’époque (NDLR).

 

R & V : Si on compare avec la situation d’avant le génocide ?

E.I : C’est mieux qu’alors, mais les rwandais sont méfiants vis-à-vis de la liberté d’expression, car c’est en partie celle-ci qui a permis le génocide (Radio Télé Mille Collines, NDLR). Les séquelles de celui-ci, qui n’a que seize ans, sont très présentes et la cohabitation avec les génocidaires rend la population méfiante. En fait, les rescapés demandent une loi qui équivaudrait à celle instaurée en France pour le négationnisme.

 

R & V : Avant le génocide, percevais-tu des tensions ou des prémisses de ce qui allait arriver ?

E.I : Dès 1990, j’avais 12 ans, j’ai perçu l’amplification du conflit. A chaque fois qu’une attaque avait lieu contre le Rwanda, suivait un massacre de Tutsis. En 1990, le FPR (Tutsis réfugiés en Ouganda) a attaqué le Rwanda à la frontière nord, les Hutus ont fait croire à une attaque sur la capitale Kigali, alors que c’était faux et, du coup, ont emprisonné en masse les Tutsis de l’intérieur. Il n’y a pas eu de réaction internationale, d’où une accélération de la répression au nord du pays. En 1992, ce sont les miliciens, extrémistes à l’intérieur de l’armée rwandaise, qui, dans le sud du pays, ont poussé la population hutue à tuer ses voisins. Toujours pas de réaction internationale, pas de procès.

 

R & V : Actuellement, le mouvement révisionniste existe-t-il dans les pays occidentaux ?

E.I : Oui, car ce sont des pays qui ont une liberté d’expression. Les génocidaires en « profitent » pour développer la théorie du double génocide. L’opposition n’a pas de projet politique, leur seul argument est d’être contre Kagamé.

 

R & V : Mais du coup, que penser de cette théorie du double génocide ?

E.I : On doit appeler les choses par leur nom. Un génocide, c’est préparé, planifié, ça touche tout le monde. Pendant la guerre, il y a eu  des crimes de guerre commis par le FPR, mais on ne peut parler de génocide de leur part. Lorsqu’on n’a plus pu éviter le terme de génocide à l’encontre des Tutsis, on a émis l’idée d’un double génocide pour renvoyer dos à dos Hutus et Tutsis. C’est la théorie de Péan.

 

R & V : Tu vis en Belgique. Vois-tu une différence de perception et d’action entre la Belgique et la France ?

E.I : Oui, il y a une grande différence. Les belges ont fait beaucoup, les rescapés sont soutenus par le gouvernement. Des soldats belges sont morts (tués par les génocidaires), la population belge se sent plus proche des Tutsis. Jusqu’à aujourd’hui, la population française est plus dans le déni.

 

R & V : Autour de la région du Kivu (ouest du Rwanda, frontière avec la République Démocratique du Congo), il y a régulièrement des troubles. Sont-ils ethniques, politiques, économiques ?

E.I : Cette région du Kivu est riche en matières premières, elle est donc l’objet de beaucoup de convoitises. Cependant, ce qui se passe dans cette région du Congo est aussi une suite du génocide. Les extrémistes Hutus se sont réfugiés au Congo, escortés et protégés par l’armée française (opération Turquoise). Le président du Zaïre de l’époque, Mobutu, les a acceptés dans son armée. Certains génocidaires contrôlent cette région au riche sous-sol et traitent avec les occidentaux. Les troubles de la région du Kivu et les conflits Congo-Rwanda sont en partie liés à ça. Actuellement, le Congo s’est désolidarisé de cette « armée ». Certains d’entre ces extrémistes souhaitent revenir au Rwanda, sous l’impulsion de la « communauté internationale ». Les autorités rwandaises s’y opposent, de peur de nouveaux troubles internes. Ils sont en quelque sorte apatrides.

 

R & V : Y a-t-il d’autres associations de rescapés en France ?

E.I : Oui, il y en a partout dans le monde. Nous sommes en contact entre nous. Au Rwanda, IVUCA, Justice et Mémoire, d’origine belge regroupe toutes les associations de rescapés. Les associations de rescapés et le MRAP ont mis devant la justice Pierre Péan, à propos de son livre, mais il a été acquitté.

 

R & V : Et toi, quel est ton combat ?

E.I : Je me bats pour la mémoire des nôtres. C’est indispensable pour la suite, pour la mise en place d’une justice. Je me bats contre les négationnistes. C’est pour cela que j’écris des livres et participe à des débats.

 

Interview réalisée par Daniel Romet et Jean Sagnard (Alternatifs 07)

 

* Ephrem Inganji, Une jeunesse perdue dans un abbatoir d’hommes – Rwanda, un voyage dans un pays ensanglanté, Ed. L’Harmattan, Paris, 2009.

A lire également :

Raphaël Granvaud, Que fait l’armée française en Afrique ?, Ed. Agone, Marseille, 2009.

Tag(s) : #International
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