Cet article est paru dans Picodent n°2 (avril 2010)
Altermondialistes, les Alternatifs participèrent aux rencontres mondiales des partis radicaux de Mumbaï, Porto Alegre et Belém, organisées en off des forums sociaux mondiaux (FSM). Internationalistes, ils furent cette fois conviés à assister aux travaux du 16e congrès mondial de la 4e Internationale* qui se tint « en février 2010, quelque part en Europe », au bord de la mer du Nord. Ils pénétraient du même coup dans l’antre de la conspiration mondiale... Délégué avec un autre camarade, allais-je participer aux préparatifs de la « révolution mondiale et permanente » ? Je me préparais tout excité en à assister à d’âpres débats, esclandres et tensions dans la grande tradition trotskiste mais j’assistai tout compte fait à des travaux sereins dans une ambiance d’écoute et de respect. Nul portrait de Trotski ou même d’emblème de l’organisation (faucille et marteau entrecroisés avec un 4) n’ornaient la salle des plénières. Décidément, les temps ont bien changé et les clichés ont parfois la vie dure !
Sur place, les documents du congrès étaient estampillés d’une fondation Léon S…, les intervenant-e-s arboraient des badges bleus pour la direction sortante (Comité international), rouges pour les délégué-e-s, jaunes pour les observateurs-trices, verts pour les invité-e-s et oranges pour les volontaires sur lesquels ne figuraient que leur prénom et leur pays. Le congrès se déroula sur quasiment une semaine dans une élégante et grande maison servant de centre de vacances à une mutuelle. Il y avait un petit côté colonie de vacances, fraternité ouvrière et des patates et de la bidoche à chaque repas. Autour, c’est une station balnéaire. L’été, ça doit déborder de corps tout roses et de jeux de ballons. L’hiver, c’est un front de mer gris, un mur d’immeubles de 8 à 10 étages, des boutiques fermées et une poignée de petits vieux qui se promènent face à la mer. Bref, si tu es en congrès ici, tu ne vas pas fuguer pour aller faire la fête. D’autant que l’ambiance, au sein du congrès fut plutôt conviviale. Il y eut en effet quelque chose de très touchant à voir ses militants de tout âge, venant de toute la planète et se retrouvant autour d’un même projet dans une ville déserte. Cependant, entre la petite organisation canadienne, quasiment clandestine de fait, et le Rebolusyonaryong Partido ng Manggagawa – Mindanao, la plus grosse organisation philippine, partiellement clandestine (mais là, c’est un choix) et armée, y a-t-il une appréhension commune du quotidien et des effets dévastateurs de la mondialisation capitaliste ? Rien n’est moins sûr ! Dans cette ambiance, s’y mêlèrent les nouveaux venus, essayant de se faire aux usages du congrès et à ses codes.
Dans une grande solennité, le congrès débuta par un hommage aux camarades disparus depuis le précédent congrès de 2003 et l’énumération exhaustive des « dirigeants » de l’Internationale : de l’italien Livio Maitan au français Daniel Bensaïd. Puis il entreprit ses travaux, décomposés en 4 temps : la situation mondiale, la crise climatique, les rôles et tâches et un temps de votes à huis-clos.
Ce court récit ne me permet pas de relater, voire résumer les rapports et les multiples interventions. Retenons pêle-mêle : La nature de la crise globale et multidimensionnelle qui affecte le mode capitaliste analysée assez finement: la nouvelle offensive du capital, les contradictions du mode d’accumulation néolibéral, la réponse capitaliste à la crise écologique, etc. Le rapport ne fut pas un discours dogmatique mais une vraie tentative de rendre intelligible, de mettre du sens dans l’ensemble des évènements politiques internationaux. Je constatai une convergence d’analyse avec le rapport et une majorité d’interventions. Un rapport spécifique sur la Palestine et le Moyen-Orient ainsi qu’une motion du Comité international sur l’offensive israélienne contre Gaza furent également été présentés. Sur la crise climatique, je relevai la grande qualité du rapport, la réelle prise en compte du problème par les sections de l’Internationale et l’adoption du concept d’écosocialisme. Seules quelques voix dissonantes s’exprimèrent, elles émanèrent de courants orthodoxes du NPA et de scientistes européens. Les latino-américain-e-s insistèrent sur la Pachamama et la tierra-madre pour souligner l’importance du sommet sur le climat de Cochabamba, initié par Evo Morales.
Au 3e jour, le débat revêtit un enjeu stratégique supérieur: « rôle et tâches de l’Internationale». L'introduction ne fut guère optimiste: crise de la démocratie, crise de la social-démocratie, crise aussi de la gauche radicale. Le rapporteur rappela sans ambages que l’on nous bassine avec l’unité mais que celle-ci ne peut poindre qu’avec les organisations qui ont réellement décidé de rompre avec la gauche libérale. Mais deux débats s’entremêlèrent, avec d’un coté, l’embarrassante proposition de Chávez, presqu’impromptue, de construire une Ve Internationale et, de l’autre, la proposition de définir la IVe internationale comme une internationale anticapitaliste afin, de permettre, sans doute, l’adhésion du NPA. Puis vint le moment d’intervenir au nom des Alternatifs, quelque peu impressionné, j’exprimai alors, en quelques minutes allouées, nos nuances d’appréciation sur la caractérisation du mouvement altermondialiste, notre satisfaction de voir naître la conjonction du rouge et du vert au sein de l’Internationale et notre conception du parti-mouvement, bien distincte du parti léniniste. La dernière journée, consacrée aux votes et aux mandats, se déroulant à huis clos, je rentrai en Ardèche avec la satisfaction d’avoir côtoyé des marxistes-révolutionnaires du monde entier dans l’espoir de renverser un jour le capitalisme mais aussi pour retourner à « mes tâches immédiates », celles de continuer à lutter là où je vis en attendant la révolution mondiale.
Alba
* La Quatrième Internationale a été fondée par Léon Trotski tout près de Paris en 1938. Sa création intervient après la violente répression envers l’opposition de gauche en URSS et son exclusion de la IIIe Internationale, totalement verrouillée par la bureaucratie stalinienne. La LCR en était la section française jusqu’en 2009. Le NPA n’en est pas membre, seul-e-s les militant-e-s ayant appartenu à la LCR peuvent rester affilié-e-s.